lundi 29 octobre 2007

L'allemand, une langue pas si étrangère

Contre vents et marées j'entretiens depuis toujours avec l'Allemagne une histoire d'amour passionnée.


Son esthétique déjà. Solide et complexe, toute en constructions géométriques, faite de lignes de fuites, de plans et d'arrières plans.

Ses peintres merveilleux. Schiele surtout qui m'accompagne partout comme un ami fidèle, Gerstl à l'autoportrait riant depuis longtemps punaisé au-dessus de ma porte, les portraits de Böckl et ses aquarelles sensuelles et fragiles, aériennes touches de couleur aux équilibres parfaits.
Une partie de moi, en double fantôme, erre encore prisonnier dans les rues de Vienne entre Belvédère et Palais de la sécession.


Ses habitants surtout.

Plus adolescent, pas adulte encore, je me rendai à Francfort chez une amie de mon père pour y apprendre les subtilités du délié de la langue germanique. J'y déambulai tout le jour impressionné par le caractère systolique des autochtones, me gavant de bretzel et de bières amères dans des winstubs enfumés. Le soir venu je recréais dans ma chambre les esthétiques alambiquées de l'expressionnisme allemand avec la complicité riante de mon hôtesse. Elle, une coupe à la Louise Brooks et le regard en amande dans des poses improbables, moi, impressionné, imaginant sa peau diaphane au grain blanc velouté frissonnant sans défense sous mes caresses hâtives.


Cet amour depuis ne s'est jamais démenti ; les embuches ont pourtant été nombreuses.

Ma prof d'allemand, sous les traits d'un messager autoritaire, visage poupon encadré de lunettes fortes, était chargée par un esprit supérieur de tester ma foi naissante.

Elle usait et abusait comme sujets de leçons des thèmes les plus sinistres et les plus improbables.

Nous pensions à chaque séance avoir épuisé ses projets morbides mais, chaque semaine avec une régularité déroutante, elle alimentait sa petite boutique des horreurs de nouvelles abominations.

En vrac : faire de l'autostop à Tchernobyl, le cancer, le nazisme, la pauvreté, le suicide, la prostitution, les enfants battus, et j'en passe… Délice suprême quand elle mêlait les genres...


Nombreuses furent les victimes collatérales. Les amis épuisés qui dans un râle demandaient grâce. Les filles prises de délire, tremblotantes devant la face émaciée d'un orphelin éthiopien victime de guerre tribale, muettes, les larmes aux yeux, n'en pouvant plus. Des rangs, toujours plus clairsemés, s'enfuyant sans espoir de retour sous le regard amusé de notre bourreau.

Pour ma part je me mis en résistance et décidai de n'en apprendre rien. Entièrement tourné vers mon art [et subjugué par les formes plantureuses de cette matrone implacable], je restai insensible à son message. Au terme de ma scolarité, c'est vierge de toute corruption que j'échappai à mon sort ; nul en allemand mais sauf de tout parjure.



J'avais depuis longtemps oublié cette histoire quand un détail a troublé ma quiétude. Spectateur assidu des salles UGC je notai que le Label des spectateurs n'était depuis quelques temps qu'une suite sans fin de situations sans espoir. Un défilé de miséreux, de tétraplégiques, de paralysés sans espoir de rémission, d'orphelins abandonnés et livrés aux quatre vents, de belles anorexiques poussées au suicide, de rescapés en sursis, de catastrophes sans lendemain…

Refusant d'y voir une coïncidence, j'échafaudai les hypothèses les plus audacieuses et fis des jours durant des recherches fiévreuses. La vérité enfin se livra à moi dans toute sa simplicité : lassée d'effrayer des élèves sans défense [et ayant somme toute failli à sa mission] la prof d'allemand de mon enfance au rire innocent s'était attaquée à une tout autre challenge.

A chaque projection, je me fige et étouffe un petit rire crispé et l'imagine trônant sans rivale, maitresse ès programmation parmi un staff terrorisé, rayonnante, sure d'elle et de son art, au faîte de son génie pour notre plus grand malheur !

3 commentaires:

  1. Au fil de ma lecture, mon horizon s'est éclairé et j'ai soudain compris le malaise confus qui m'envahit dès que la voix doucereuse d'une femme désincarnée annonce que "le film que vous allez voir a reçu le label des spectateurs UGC". N'ayant jamais fait d'allemand (comme toi, je suis une résistante...!), je n'avais pas pu saisir les tenants et les aboutissants du choix morose de ces histoires tristes à pleurer. Grâce à toi, c'est chose faite.

    PS : toujours aussi délicieux de te lire.

    RépondreSupprimer
  2. D'autant plus perturbant que cette drôlesse ressemblait à s'y méprendre à Sarah Connor dans Terminator ! (Bon, je fais pas trop le malin, moi aussi à l'époque j'avais des cheveux longs... ) !
    A bientôt Pétronille !!

    RépondreSupprimer
  3. Une femme toute en muscles, alors, hum, à la nageuse est-allemande (restons dans le thème...) ?

    (note : moi j'ai les cheveux rouges, alors, je ne fais pas la maligne non plus...)

    RépondreSupprimer