mardi 16 octobre 2007

Ma vie en un raccourci

En ce temps là, j'étais jeune encore. Je faisais des visites régulières à une brune pas farouche qui avait posé les bagages de sa vie aventureuse Rue du théâtre, à Paris, à deux pas de la Tour Eiffel.

Un bel appartement, 3 pièces tout confort. Je n'en ai pas vu de si beaux depuis. Un luxe de sur mesure, de tissus riches et de drapés soyeux. Je profitais de ce luxe éphémère, devinant ma chute prochaine, m'enivrant de couleurs, de caresses et d'odeurs.

J'étais fébrile alors. Je fumais beaucoup et mangeais peu. Brûlant de mille feux pour ma belle ténébreuse, je grillais de l'essence dans des allés/retours Province/Paris sans fin (le trou de la couche d'ozone, c'est moi !) et promenais ma carcasse de grand échalas dans la brume au soir tombé, ruminant de sombres pensées, contemplant ma perte et m'y précipitant néanmoins avec délices.

Mon destin d'alors avait cela de pratique : il était prévisible. D'un grand éclat de rire ma belle prit son envol, me laissant seul sous un ciel lourd de nuages.


Les années ont passé.

Assoiffé de couleurs, je troquai les cheveux aux profonds noirs de jais pour un rouge exubérant. Amoureux de la vie, je quittai ma province et les avenues de papier glacé pour un appartement sur le Canal Saint-Martin. J'y mène une vie mouvementée dans un monde en raccourci, rythmée par les crises d'angoisses de locataires pris de démence. [L'immeuble lui-même semble agité de vie. Pas un calme apaisé, non, mais une violence brutale. Une respiration sifflante de tuberculeux. De longues plages de rémission, comme pour rassembler ses forces, avant déchaîner les rounds de furie destructrice. Une vie de respirations crachouillantes, de spasmes et d'humeurs. De folies incontrôlées, de vents de paniques plus vraiment maîtrisés, de soubresauts agités et nerveux. A chaque étage sa psychose, son fou et sa lubie.]


Cette existence tempétueuse dans une cage à lapin, les enchaînements de nuits blanches et de jours noirs, commençaient à sérieusement me lasser, et soucieux d'accomplir le rêve d'une vie -[en somme de lier l'utile à l'agréable]- je décidai de m'expatrier sous d'autres cieux plus cléments. Pour des raisons très irrationnelles, mon dévolu s'est arrêté sur la belle province du Québec, objet dans un coin de mon esprit des fantasmes les plus fous.



Depuis longtemps je ne pensais plus à mon adolescence, quand un hasard rigolard me fixa rendez-vous.


Suspendu dans les airs entre deux mondes, à cheval entre Dupleix et Bir-Hakeim, sur un fil invisible je vis défiler ma vie en un raccourci attendrissant. J'assistai en spectateur amusé à ma résurrection. Une petite mort sans douleur, un endormissement, une vie passée que je garde bien au chaud à l'intérieur de moi. Pour l'oublier pourtant. Et, dans un grondement de rouages : une naissance, une vie nouvelle loin des efforts vains ; des promesses de voyages, un horizon de glace, de l'air gavé d'oxygène à nous en étourdir et ce sang visqueux coulant avide et chaud dans nos veines.

Sur le quai j'aperçus une âme follette souriante, à la chevelure d'un rouge farfelu. Un phare indispensable aux aventuriers de l'improbable. Une fée sautillante et joyeuse prête à toutes les aventures. La face lumineuse de mon âme damnée. L'ange gardien de ma nouvelle vie.

Je descendis du métro en homme neuf. A mi-chemin entre la Tour Eiffel et la Statue de la liberté. Et me lovai dans les bras alanguis de ma maîtresse...

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